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sable, mais si confiante, que je sens aujourd’hui quelque tremblement à dénoncer, pour ma part, le pacte tacite ainsi conclu il y a quinze ans. Tel est le prestige du talent que l’histoire pourra bien s’y tromper après nous. On s’imaginera que le Culte du Moi fut le livre de toute une jeunesse, quand ce n’est le livre que d’un grand écrivain. Peut-être commettons-nous la même erreur quand nous persistons à nommer le « mal du siècle » ce qui fut le mal d’Adolphe, de René, ou d’Obermann.

J’incline à le penser quand je vois qu’avant M. Barrès, Chateaubriaud et Benjamin Constant parurent comme des étrangers dans leur temps, puis qu’ils y vécurent solitaires. Sitôt épuisée la joie d’étonner et d’agir, l’isolement se referma tout autour d’eux. Isolement splendide et fécond, qui assura jusqu’au bout la hauteur de leur pensée et préserva de tout mélange leur originalité. Comme eux, M. Barrès est un solitaire. De là cette impression, que je marquais, quand nous lisons de lui un livre nouveau, d’entrer dans une terre nouvelle. De là cette magnifique mélancolie, cette ardeur de jouissance mêlée au goût de la mort qui fait la saveur intime de ses ouvrages.

Je suis bien sûr que l’homme qui aurait entendu battre avec la sienne la pensée d’une génération, qui aurait agi, qui aurait trouvé, comme il l’a dit,