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un brelan d’excommuniés

« L’Homme ne s’aime pas et cependant l’homme doit s’aimer beaucoup, car il doit aimer beaucoup son prochain et il doit aimer son prochain comme lui-même. »

Cette apologie, ridicule et même odieuse dans toute autre bouche, n’étonnait pas trop de cet incomparable naïf et produisait presque l’effet d’un aveu touchant.

On lui fit un crime atroce de s’indigner d’être obscur, mais il croyait avec raison qu’étant glorieux, il aurait mieux servi ses frères, qu’il aimait autant que lui-même. Si l’Espérance peut donner la résignation pour soi, l’Amour n’entend rien à la résignation pour les autres, et cet amoureux ne se résigna jamais. « L’ensemble de mon œuvre, me disait-il un jour, pourrait s’appeler le Cri du sang d’Abel. »

Le pauvre, tel qu’il le concevait, c’est celui qui a besoin, n’importe de quoi : c’est l’homme de génie, c’est le héros, c’est l’étranger ; c’est celui qui a faim, c’est celui qui a