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à la table des vainqueurs

et plus effrayante qu’auparavant. Ah ! il faut que vous m’écoutiez, je ne dis pas pour m’absoudre, mais pour être mon témoin. Car ces cris de ma pauvre petite fille que j’entendrai toute l’éternité, c’est mon trésor, voyez-vous, mon unique bien, le viatique de mon âme affreuse, quand elle se présentera devant Dieu qui demande à sa créature de tant souffrir !…

Ah ! je me suis bien vengée, bien diaboliquement, bien épouvantablement vengée !… ajouta-t-elle d’une voix si profonde que le franciscain trembla. J’espérais ainsi, païennement, me délivrer de ces cris horribles. Mais je n’ai pas passé une minute, sachez-le, depuis vingt ans, sans les entendre et je les entendrai toujours… Car l’Innocence ne s’apaise pas… Ils me remplissent, ils m’environnent, et quand mon Juge me regardera, je les mettrai sur ma vieille poitrine comme une cuirasse de blancheur, je les lui offrirai de la main droite et de la main gauche, je les répandrai aux pieds de son trône et dans toutes les rues de son Ciel, qui deviendra peut-être, alors, une seconde Vallée de Larmes, en lui rappelant les cris de son propre Enfant crucifié qu’il ne voulut pas écouter !…

La Gorgone maternelle s’était dressée à demi pour prononcer ces paroles de démence qui retentissaient dans l’âme du prêtre comme une traduc-