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sueur de sang

avait transportés là, mes chers morts, et j’ai prié pour eux aussi bien qu’une criminelle peut prier…

Écoutez maintenant. J’étais seule, un soir, avec notre dernier enfant, une jolie petite fille de dix ans, dans notre maison, sur la route de Châteaudun. Je ne savais rien encore, sinon que tout allait mal. L’ennemi arrivait de tous les côtés. Les voisins avaient pris la fuite… Plût à Dieu que j’en eusse fait autant !…

Je vis entrer chez moi, par la porte enfoncée, une vingtaine au moins de brutes féroces qui se mirent à piller immédiatement, hurlant pour que je leur donnasse à boire et à manger. Je leur abandonnai tout, m’estimant heureuse de n’être pas maltraitée dans ma personne. Ce fut alors que l’un d’eux m’apprit en ricanant la mort de mon mari et de mes deux fils. Folle de désespoir, je me jetai sur cet homme et le mordis au visage si cruellement que j’eus les yeux remplis de son sang, et que j’eus l’air ainsi de pleurer son sang, son abominable sang !…

En cette minute s’accomplit ma destinée. Je fus assommée, piétinée, violée par tous ces bandits et jetée enfin presque mourante sur un tas de fumier devant la porte où je ne fus tirée d’un long évanouissement que par les cris surhumains de ma fille enfermée dans ma maison que dévorait l’incendie…

M’écoutez-vous attentivement, mon père ? demanda la malheureuse devenue plus sombre encore