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à la table des vainqueurs

Il y eut un silence plus que pénible, la malade fixant toujours l’étranger avec des yeux fous qui la faisaient ressembler à l’un de ces masques de cauchemar inventés par l’infâme génie de l’Extrême-Orient.

— Je vous en conjure, ma chère sœur, dit encore le religieux, ne vous affligez pas de ma présence. Je suis peu de chose, mais vous n’ignorez pas que j’ai le pouvoir de vous offrir de véritables consolations, et l’habit que je porte vous dit assez que j’appartiens à la famille des amis du Pauvre. Remettez-vous, je vous le demande au nom de Jésus agonisant, et parlez avec confiance.

L’horrible visage se détendit alors, les yeux sauvages s’adoucirent un peu, et la vieille, ramenant ses mains avec effort, les étala sur sa poitrine. C’étaient des mains de sexagénaire, misérables, épuisées, déformées par les étreintes du mal, mais non d’une femme élevée aux durs travaux, et qui avaient pu être belles. À l’annulaire de la gauche, se voyait un tout petit anneau d’or.

— J’ai pensé bien des fois, dit-elle en les regardant, qu’il aurait fallu les couper. Ce qu’elles ont fait, je ne l’ai jamais dit qu’à une seule personne et je ne sais pas si vous pourrez l’entendre. Mais je vais mourir bientôt. Dieu merci ! et je ne veux pas, du moins, que Celui qui me jugera puisse me reprocher d’avoir eu les lèvres fermées jusqu’à la fin. Je vous ai prié de venir, mon père, parce que vous êtes un de ceux qui gardent là-bas le