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sueur de sang

— Monsieur le Curé, dit-il en très pur français, je veux croire que vous pardonnerez à des soldats en campagne ce que leur visite peut avoir d’indiscret. Mais j’étais informé que votre village, qui se trouve, pour l’instant du moins, en dehors des lignes d’opération, n’a été occupé, jusqu’à présent, par aucune troupe française ou allemande. J’en ai conclu que rien ne s’opposerait à la célébration de la messe de minuit dans votre paroisse. Je suis catholique et je vous amène un grand nombre de soldats qui le sont aussi. Il suffira d’ouvrir vos portes toutes grandes. Ceux qui ne pourront pas entrer vous apercevront de loin et ce sera une consolation pour des hommes condamnés peut-être à mourir demain. Je ne pense pas, monsieur le Curé, que vous ayez le droit de la refuser même à des ennemis de la France.

Ces paroles inouïes entrèrent dans l’âme du vieux Courtemanche, comme de la mitraille dans un caisson. Le règne minéral cessa, du coup, d’exister pour lui. Ce doux et timide ecclésiastique flamboya soudain comme un volcan.

— Oh ! cria-t-il, dire la Messe, la sainte Messe de l’Emmanuel à des incendiaires, à des assassins d’enfants, à des Prussiens abominables ! Pour quel Judas me prenez-vous donc, monsieur ? Vous êtes le maître, vous avez reçu le pouvoir de nuire aux enfants de Dieu, et je ne suis qu’un vieillard, le plus insignifiant et le plus faible de tous les curés du diocèse, mais vous ne me faites pas peur, en-