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sueur de sang

en bas du village une ligne sombre, délimitant une masse plus sombre d’où sortaient des lueurs d’acier, des éternuements, une sorte de grande plainte sourde et confuse.

Nul « fourrier de la mort », suivant l’expression de Corneille, ne s’était jeté en avant pour le désespoir du conseil municipal. Simplement, celui qui paraissait être le chef avait mis pied à terre et, suivi d’un seul de ses officiers, s’était fait conduire au presbytère.

M. l’abbé Courtemanche était le plus vieux curé de l’arrondissement. Rééditant à son insu un mot de Henri Heine dont il ne connut jamais le nom, il se disait volontiers le premier homme de son siècle, pour être né le 1er janvier 1800 ; prétention contrariée, d’ailleurs, comme il arriva au poète allemand, par l’hostilité d’un instituteur voltairien qui lui reprochait, avec plus ou moins de raison, d’être, au contraire, l’un des derniers hommes du précédent siècle.

Ecclésiastique sans reproche ni couture et totalement dénué d’ambition, il avait tout fait, depuis trente ans, pour ne pas changer de place. L’autorité diocésaine, fort accommodée d’une si édifiante modestie de roseau sacerdotal, l’avait oublié soigneusement dans cette paroisse pauvre que ne briguait aucun confrère, et le pacifique bonhomme poussait ainsi des racines plus profondes