Page:Bloy - Sueur de sang.djvu/59

Cette page a été validée par deux contributeurs.
55
la messe des petits crevés

nant l’ordre de se tenir prêt. Ce capitaine était un vieux brave, ancien officier de marine, homme de bonne compagnie et fort affable qui s’était fait un plaisir de commander à des jeunes gens si bien élevés.

La mort de l’aumônier l’avait très ému lui-même. Il était un peu son parent, et ce fut avec larmes qu’il l’ensevelit à la hâte de ses propres mains tremblantes dans une toile de campement et le fit transporter à l’ambulance, en attendant les funérailles plus ou moins pompeuses que les circonstances permettraient.

— Mon capitaine, dit alors, avec une remarquable fermeté, le jeune marquis Enguerrand de Bellefontaine, superbe gars de vingt-deux ans, qui n’avait certes pas la physionomie d’un crevé, la mort de notre cher aumônier nous prive de la messe. Mes camarades et moi nous sommes prêts au sacrifice de notre vie et nous marcherons comme des gentilshommes aussitôt qu’on nous commandera de marcher. Mais si notre inaction doit se prolonger seulement une heure, ne pensez-vous pas qu’il serait cruel que nous eussions inutilement préparé ceci ?

Il montrait l’autel de missionnaire construit avec des tréteaux de cantine recouverts d’une magnifique pièce de linge.

Les degrés symboliques n’avaient pas été oubliés, les cierges non plus : deux bougies de l’Étoile ou du Phénix plantées à droite et à gauche dans des canons de chassepots.