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l’obstacle

dans le milieu du torrent qui venait de nous saisir et qui devait nous porter jusqu’en Bretagne.

Hideuse bousculade, panique mélange de toutes les écumes de la guerre ! Nous avions déjà vu cela, en décembre, après Orléans, mais ici, c’était autrement complet.

On était comme roulé dans un déluge d’animaux humains tremblants de peur et tremblants de froid, éperonnés par la faim, rendus fous par les insomnies, séparés par l’égoïsme le plus atroce et le plus déchaîné.

Pas de grâce à espérer pour le pauvre être que l’inanition ou le désespoir jetait par terre. On passait dessus sans même le voir. On avait entendu tant de cris depuis tant de jours !

Car les cris des agonisants piétinés s’entendaient fort bien. Cette cohue était silencieuse et faisait penser à ces mornes multitudes qui s’en vont, bien avant l’aube, à l’enfer des grands puits de mine, sans proférer d’inutiles imprécations que n’écouterait aucun vengeur.

Pêle-mêle, on allait à tous les diables, chacun gardant pour soi ce qui pouvait lui rester de cogitation ou de volonté. Des ambulanciers déserteurs coudoyaient des canonniers éperdus qui ne traînaient plus de « tonnerres », des lignards sans chaussures et de pédestres cavaliers sans crinières ni espadons, se confondaient, s’amalgamaient, avaient l’air d’entrer les uns dans les autres. D’impossibles chars de déménagements villageois