Page:Bloy - Sueur de sang.djvu/44

Cette page a été validée par deux contributeurs.
40
sueur de sang

D’étranges paroles avaient pourtant essayé de pénétrer dans son cerveau. D’une manière confuse, il soupçonnait que quelque chose d’irrégulier et de regrettable s’accomplissait ici ou là, sans pouvoir le définir. Mais à quoi bon y penser ? Que pouvait-il faire, n’étant plus qu’un ex-gendarme, un propre-à-rien dont l’Administration et l’Armée dédaignaient aujourd’hui le dévouement ?

Un jour, enfin, par un crépuscule d’octobre, tout à coup, au milieu du grand silence, au-dessus des « toits des bois », dans un tout petit souffle qui n’agitait même pas les dernières feuilles, il entendit, venu de très loin, le bruit du canon.

Cette fois il ne pouvait pas s’y tromper. Ça le connaissait. C’était une pièce de fort calibre qui sonnait, toutes les trois minutes, à gros coups sourds, comme un énorme bélier de guerre battant les murs de la France.

L’ancien de Solférino et de Malakoff l’avait assez entendu, cet Angelus de la mort. L’effet immédiat fut inouï et presque surnaturel. Le vieux homme se mit à danser en poussant des cris sauvages, puis se précipitant vers sa maison avec une étonnante vélocité et s’engouffrant à demi dans une énorme malle poilue qui faisait l’ornement de sa tanière, il en tira d’un seul coup tout son fourniment des jours de gloire.

Ses bottes même, qu’il n’avait pas voulu profaner en y fourrant les pieds d’un retraité, reparurent ; et sa bonne latte pieusement démaillotée du