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quatre épingles sur ses petits membres, et c’était une chose qui remuait profondément de voir ce joli vieillard, titulaire sans descendance d’un des Noms les plus glorieux de l’Occident, s’efforçant d’appareiller sa misère au décor triomphal des siècles.

Quoique les paysans le crussent fou et peut-être même à cause de cela, son influence autour de lui était grande et ressemblait à une sorte de prestige que personne, assurément, n’eût expliqué.

Sans doute, on n’hésitait pas à le dépouiller, autant qu’on pouvait, de ses misérables récoltes et les transactions nécessaires ne manquaient pas d’être aussi onéreuses que vexatoires pour un vieux songeur qui ne se défendait pas ; mais le rustre le plus affronteur n’aurait pas osé, « pour tout l’or du monde », se départir, en sa présence, de l’attitude la plus respectueuse.

On ne pouvait dire pourtant qu’il manquât de bienveillance ou de politesse, puisqu’il ne parlait à personne sans se découvrir et saluer jusqu’à terre, comme s’il se fût agi d’un grand prince.

Quand, par miracle, une offense grave sentie par lui le déterminait à faire un exemple, il dressait son buste, enfonçait ostensiblement son chapeau et disait à l’offenseur, en clignant des yeux :

— Monsieur, j’ai beau faire, il m’est impossible de vous apercevoir.

Et c’était tout. Il ne faisait pas revivre autrement le droit seigneurial de haute justice. Mais