Page:Bloy - Sueur de sang.djvu/32

Cette page a été validée par deux contributeurs.
28
sueur de sang

Quelques jours plus tard, à trois lieues de là, en pleine forêt, un paysan qui servait de guide, et qui, par miracle, ne trahissait pas, vint raconter à Gueule-de-Bois que la maison du sabotier était maintenant occupée par les Prussiens, et qu’ils étaient une douzaine là-dedans qui n’avaient pas l’air de s’embêter.

On était en force, et il eût été facile de lancer trente ou quarante hommes sur ce point. Mais le caporal garda la chose pour lui, connaissant ses chefs et sachant combien il eût été vain de s’adresser au commandant qui n’eût pas manqué, avec sa profondeur ordinaire, de soupçonner immédiatement un piège. Il résolut simplement d’agir comme il lui plairait.

Ayant donc formé son plan, il choisit parmi ceux que le service laissait libres ce jour-là, deux hommes dont il était sûr. Le premier était un robuste montagnard du Sarladais, poilu jusqu’au bout des doigts, nommé Pierre Cipierre et, dès son enfance, bizarrement surnommé Le Même, pour exprimer, croyait-on, l’obstination la plus invincible. Le second n’était autre que ce Marchenoir, silencieux rêveur aux muscles accrédités, que devaient un jour éprouver, jusqu’à l’agonie, la fange bouillante et le crapuleux vitriol des inimitiés littéraires.

S’étant assuré la complicité de ces deux mâles