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par accepter son abominable accent pyrénéen, qui le faisait ricocher en pétardant sur chaque syllabe, comme un chaudron sur les galets d’un torrent.

Le grotesque de sa personne s’atténuait à la pensée du long martyre enduré par ce malheureux, qui passait pour un grand artiste méconnu.

Indifférence ou mépris, il n’avait jamais consenti à porter les petits paquets de la gloire, et avait ainsi raté beaucoup d’occasions fructueuses de prostituer des facultés qu’on disait d’ordre supérieur.

Quelques mélodies ou romances publiées, naturellement, à ses frais, avaient fait couler, en même temps que les larmes de la précédente génération, de notables sommes dans le boursicaut des entrepositaires ou des virtuoses. Il trouvait tout naturel qu’il en fût ainsi, et vivait sans colère dans une alvéole de bourdon, au cinquième étage d’une maison, détruite aujourd’hui, de l’horrible rue des Cordiers.

Trois ou quatre leçons mal payées assuraient le viatique de cet enfant des lunes anciennes, contrefait et lamentable, qui ne cherchait pas mieux que son rêve.

Enfermé dans Paris comme tant d’autres indigents aussi peu capables que lui des pratiques de la résistance, les quatre mois du Siège l’eussent exterminé sans l’intervention de faméliques admirateurs qui fournirent héroïquement les becquées légères suffisantes pour la nourriture de ce chat-huant du Paradis.