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montrer à nous-mêmes notre parfait abrutissement.

Quand une de nos sentinelles barrait le passage à tel ou tel camarade, il suffisait ordinairement que celui-ci lui jetât le mot, vous m’entendez bien, le Mot suprême qui répond à tout, qui englobe, a fortiori, toutes les consignes, toutes les échéances de l’Éventuel.

— Mange, cochon ! répliquait alors la sentinelle en s’effaçant.

Il n’en fallait pas davantage pour se comprendre. Quelquefois même le poste voisin s’esclaffait.

Cela, certes, est bien idiot, bien résolument idiot. Le lyrisme, j’en conviens, est furieusement absent de cette anecdote militaire. Mais en y songeant tout à coup, après vingt ans, j’y crois entrevoir une profondeur symbolique.

J’en viens à me demander si cette pauvre multitude souffrante, qui ne savait guère pourquoi elle souffrait, ne fut pas l’instrument d’une combinaison très spéciale de la routinière Providence qui n’a pas changé, depuis six mille ans, son système de préfigurer les événements futurs par d’analogues événements ; si la débâcle inouïe du grand peuple des Invaincus ne fut pas chargée de signifier la définitive débâcle de Dieu lui-même, évidemment incapable de subsister au milieu de ses astres offensés, quand la France est abattue ; si, enfin, le Mot indomptable, œcuménique et solitaire dont l’anagramme est une promesse de -