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sueur de sang

cru devoir poster une manière de grand’garde, à la lisière d’un bois très suspect. On y subodorait le Prussien, on croyait même, quelquefois, l’entendre vaguement, très loin, derrière la futaie sombre, dans l’énorme silence des heures.

À intervalles réguliers, un désespérant caporal appelait quatre ou cinq hommes, les aidait même charitablement du pied à se relever. Bâillements de fauves, rapides invocations à quelques démons, cliquetis de sabres-baïonnettes, heurts de crosses de fusils et de pieds pesants sur le sol battu, et disparition dans les ténèbres extérieures.

Après un demi-quart d’heure de piétinement au dehors, les hommes de garde rentraient, expirant de froid, exhalant d’épaisses buées, décollant leurs doigts des flingots lancés avec rage, et se laissaient tomber lourdement à la place tiède abandonnée par les camarades.

Il fallait toute l’autorité du caporal de semaine, hirsute braconnier du Périgord, devenu pasteur de zéphyrs dans les joyeuses compagnies d’Oran, pour que les hôtes misérables ne fussent pas écartés brutalement de leur propre foyer.

Cette bonne brute qu’on appelait Gueule-de-Bois et qui respirait pour tous les Allemands la haine la plus démoniaque, avait pris l’enfant du sabotier sous sa protection. Il l’installait sur ses genoux et l’enveloppait de ses deux bras pour le réchauffer, quand il sentait le petit être grelotter contre ses jambes.