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Ils se souvenaient aussi, — et cela ressemblait à ces choses de feu et de vent divin qu’on lit dans les Écritures, — ils se souvenaient d’avoir vu passer, à Beaune-la-Rolande, un cuirassier qui, ayant été, en chargeant, décapité par le canon, continuait un instant sa charge sur l’invisible, le sabre toujours à la main et le corps emporté dans le galop furieux de son cheval, pendant que la tête casquée roulait à leurs pieds…

Plusieurs avaient gardé de cette vision d’Apocalypse comme une estampille de la démence.

Ah ! ils les avaient vus de près, les Prussiens ! Ils avaient, pour ainsi dire, campé sous l’arbre de mort qui portait ces fruits savoureux, avec l’éternelle défense imbécile d’y toucher.

Il ne leur fut pas même donné de combattre à ce déplorable Tertre Rouge dont la prise décida du sort de la guerre et qui fut confié, par un aveuglement surnaturel, aux asphyxiés du camp de Conlie.

Ils reçurent, selon l’usage, l’ordre de se replier, au moment précis où il y aurait eu quelque chose à faire, après un mortel planton de douze heures dans la neige, le long des haies.

Défense avait été faite d’allumer aucun feu, de griller seulement une cigarette et de tirer un pauvre coup de fusil. Le jour étant venu, le terrible jour du 11 janvier, les Allemands furent aperçus à soixante mètres, immobiles, silencieux et gelés eux-mêmes, ayant aussi la consigne de ne pas attaquer encore.