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fice, une ribambelle de tardigrades fantômes qu’on faisait semblant d’utiliser comme éclaireurs, et que les campagnards inquiets voyaient apparaître sur tous les chemins.

Charriés par tous les courants de la débâcle, portés çà et là sur le dos des flots qui montaient ou qui descendaient des champs de bataille, sans obtenir une seule fois qu’on les alignât à leur tour, ils ressemblèrent à des trépassés en pèlerinage qui ne sauraient plus retrouver leurs tombes.

Ils ne savaient pas de combien d’affaires ils avaient été, de la sorte, les anxieux témoins, et quand tout espoir de vaincre eut été perdu, ils se résignèrent à ne plus souffrir autrement que comme des bestiaux sans écurie et sans pâturage.

Mais auparavant, ils avaient eu, parfois, à rugir et à sangloter de ce rôle monstrueux de comparses des immolations. Un jour, entre autres, il leur avait fallu assister au complet massacre d’une compagnie d’infanterie de marine abandonnée sur un point stratégique où le général en chef aurait dû concentrer ses meilleures forces. Ils avaient vu soixante hommes tenir tête à soixante canons et à dix mille Bavarois, pendant trois heures et demie, en chantant des refrains de mer.

Les soixante hommes étaient tous tombés devant eux jusqu’au dernier qui se trouva précisément le capitaine, et ces jeunes gens suffoqués d’admiration et d’ignominie faillirent tuer leur commandant qui pleurait lui-même d’être forcé de les retenir.