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l’abyssinien

Rien de plus troublant que la beauté de cet homme, qui tenait à la fois de l’éphèbe et du templier, et dont le sourire équivoque était célèbre jusque dans l’armée allemande où il était parvenu à ranimer des superstitions aussi anciennes que les Niebelungen.

Les Bavarois tiraient dessus tant qu’ils pouvaient, mais sans espoir de l’atteindre. On racontait de lui, entre autres choses, cette folie surnaturelle de son intrusion dans un village occupé par deux mille hommes, pour le seul plaisir de pénétrer à cheval dans une maison formidablement gardée, où il avait décrété, comme eût pu le faire un dieu, qu’un certain colonel wurtembergeois recevrait, à deux heures de l’après-midi, un épouvantable soufflet de sa main gantée. On ne comprit jamais comment il avait pu sortir de la fournaise.

Les récits de ce genre étaient à peu près sans nombre et on sut que l’ennemi avait offert de très fortes sommes à des paysans, pour qu’ils le livrassent vivant ou mort.

Il faisait ainsi la guerre pour son propre compte, parfois même avec une férocité diabolique, et, lorsqu’au moment de l’armistice, il disparut pour ne jamais revenir, on pensait chez nous qu’il avait bien pu tuer, de sa main, trois ou quatre cents Allemands.