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tombée dans cet assoupissement lucide et cruel des très vieilles gens qui vont mourir de douleur. Sa tête, visible comme une tache pâle au milieu des ombres, oscillait régulièrement, secouée par un hoquet qui ressemblait à celui de l’agonie.

Une clarté vive lui rouvrit les yeux. C’était une de ces fusées lumineuses et de diverses couleurs que les Prussiens employèrent si souvent pour transmettre, au milieu de la nuit, certains ordres aux différents corps placés sous le commandement d’un même général.

Cette fusée fut naturellement suivie d’un assez grand nombre d’autres et, pendant quelques minutes, la moribonde soucieuse, dont le cerveau commençait à chavirer, put se croire encore à l’une de ces fêtes impériales d’autrefois qui avaient frappé son imagination de simple femme. Le feu d’artifice allait sans doute apparaître. Il ne se fit pas attendre.

On sait l’ingéniosité des signaux nocturnes usités dans l’armée allemande. Les fusées n’eussent pas suffi. L’ennemi se servait aussi de points lumineux appliqués par un système très simple. Au moyen d’écrans qui cachaient ou laissaient passer la lumière, il produisait des éclipses plus ou moins longues. Le premier obturateur, par exemple, masquait un verre blanc et le second un verre rouge. Les couleurs émises et la durée de