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route, un grand nuage de fumée qui ne s’était dissipé qu’au vent du soir.

Dans le vacarme effrayant de ces heures interminables, elle avait surtout écouté le canon, l’abominable canon qui tue si bien les enfants des pauvres mères.

Jamais auparavant, excepté à l’occasion de quelques grandes fêtes publiques, elle ne l’avait entendu. Mais elle savait bien ce que c’était, et chaque fois, depuis le matin, elle avait cru que toute cette mitraille entrait dans son corps, dans son misérable vieux corps incapable de la porter au secours des malheureux.

Son fils, son beau et grand fils, cet homme de courage qui aurait pu rester auprès d’elle, chez lui, comme tant d’autres qui se fichaient bien de la patrie ! où était-il maintenant ?

Ses fonctions le dispensaient de tout service militaire. Mais quand il avait appris, le brave homme ! que les Prussiens arrivaient en masse pour écraser le pays et qu’il avait vu les troupes françaises se préparer à la bataille, rien n’aurait pu le retenir et ce n’était pas sa vieille maman clouée dans son lit qui aurait entrepris de le détourner de son devoir. Elle se souvenait trop de son père, à elle, un grand soldat du premier Empire.

Il avait donc décroché son fusil de chasse et avait été s’offrir comme volontaire. Mais, tout de même, c’était bien dur de ne pas le voir revenir,