Page:Bloy - Sueur de sang.djvu/25

Cette page a été validée par deux contributeurs.
21
l’abyssinien

faisait partie du mince groupe de batteurs d’estrade volontaires, équipés et montés à leurs propres frais, dont les panaches exorbitants voltigeaient en avant de notre lamentable colonne.

On était naturellement fort légitimiste parmi nous. Il y avait, s’il faut tout dire, pas mal de fleurs de lis et de cœurs sanglants sur les pectoraux, mais les bons gentilshommes-propriétaires de la Vendée ou de l’Angoumois, accourus dans l’intention de restaurer tous les Capétiens aussitôt après la victoire, durent trouver peu d’écho dans ce compagnon sans panache qui pensait visiblement à autre chose et les éteignait en les regardant.

On le voyait rarement au milieu d’eux. Quelquefois même on était plusieurs jours sans l’apercevoir ; l’éternelle marche continuait, on brûlait dix étapes, on avalait vingt villages, et le bruit commençait à se répandre qu’il était mort ou captif, lorsque tout à coup il apparaissait au surgir de quelque fourré, souriant et campé droit sur sa merveilleuse jument noire, qui s’envolait par-dessus l’obstacle au seul clappement de sa langue.

Ah ! les deux magnifiques êtres que cela faisait ! L’origine de la bête était aussi peu certaine que la provenance de l’homme. L’Orient et l’Occident avaient dû se croiser pour la production de cette créature de rêve qui ressemblait à une licorne