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sueur de sang

nous seraient infailliblement présentés — comme il arriva souvent — dans les circonstances les moins favorables aux salamalecs des moutardiers.

Parmi ceux, en petit nombre, qui échappèrent à l’atroce cocasserie de cette existence, je me souviens d’un individu très rare que nous appelions, entre nous, l’Abyssinien.

Je suppose que nos supérieurs lui connaissaient un autre nom. Mais il se disait que sa personne était un mystère, et le fait est qu’on ne put jamais rien savoir sur lui de façon précise.

Certains croyaient avoir entendu dire qu’il avait fait la guerre aux Anglais sous Théodoros, et qu’il avait été l’ami et le compagnon de ce malheureux négus. Cette hypothèse parut si plausible qu’on s’en contenta, et c’est pour cette raison qu’on l’appelait l’Abyssinien.

Je ne pense pas avoir jamais rencontré quelqu’un d’aussi taciturne. Auprès de lui, le silence d’autrui ressemblait à du bavardage. Sa voix, que j’entendis une ou deux fois, paraissait intérieure et ne produisait pas de vibration. On en avait l’âme gelée. Sa politesse était effrayante…

Un jour, au début de cette trop fameuse campagne de résistance, il était venu sur son cheval, s’était enfermé une heure avec notre chef et, depuis ce tête-à-tête mystérieux dont rien ne transpira, il