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l’abyssinien

fut, jérémiade usée comme un vieux trottoir. Mais il faut avoir vu crever et pourrir les intrépides condamnés à ne point agir !

Nous agissions bien drôlement, nous autres. L’homme des champs qui nous remorquait dans les ornières et les casse-cou d’une perpétuelle stratégie de reculade ou de repliement et qui, quelquefois, nous mit dans le triste cas d’abandonner à l’avidité germanique un lot plus ou moins précieux de nos excitantes charognes ; — ce vieillard plein de cultures et d’engrais, ne montra pas, un seul jour, la velléité de nous dépenser profitablement. Ce fut grand dommage, car il y avait là, je vous le jure, de vrais garçons arrivés dans leur propre peau, et qui eussent escaladé l’impossible.

L’occasion des fredaines héroïques ne manqua pas cependant. Il ne se passait pas vingt-quatre heures sans qu’un miracle en disponibilité nous sollicitât. Seulement, les prodiges, quoi qu’on ait dit, ne s’accomplissent que par l’influx des volontés supérieures, dans l’étroite voie de l’obéissance, et l’esthétique des téméraires manquait surtout à notre berger.

Rien à faire, par conséquent, sinon de pérambuler et de trimarder nuit et jour, par les temps secs ou les temps liquides, à travers cinq ou six provinces. Nous apparûmes çà et là, vermineux et chapardeurs, apprenant beaucoup de géographie départementale et, chaque matin, ravigotés par une ample certitude que, sous un tel chef, les Prussiens