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On s’en amusait, mais pas trop. Instinctivement, on sentait en lui le soldat noir, à l’âme recuite, sur l’endurance ou la bonhomie duquel il ne fallait pas compter. Quand les blagues allaient un peu loin, il vous avait un calme regard de ses yeux toujours pleins d’eau qui vous coupait net.

D’ailleurs, le commandant, une autre basane qui l’avait connu au Mexique, n’entendait pas qu’on le molestât.

— Dans l’intérêt de votre peau, avait-il dit, je vous conseille de ne pas l’embêter. Si j’avais seulement un millier de soulauds comme celui-là, je me chargerais de ravitailler Paris avec de la carne de Prussien.

On le laissait donc tranquille et il faisait à peu près ce qu’il voulait. Dispensé de tout service régulier, on était quelquefois plusieurs jours sans le voir. Il paraît même, — et cela nous pénétra d’un respect sans bornes, — qu’il allait se promener chez les Allemands du voisinage et qu’il rapportait de ses visites plus qu’audacieuses des indications précises qui nous sauvèrent plusieurs fois.

Avait-il donc le génie du travestissement et de l’espionnage, ce malandrin si peu souple en apparence et qu’on supposait incapable de voir à quatre pas devant lui ?

Nous n’en doutâmes plus, cette mémorable nuit de décembre où nos éclaireurs à cheval nous ramenèrent dans la forêt d’Orléans un artilleur bava-