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recommandé par plusieurs de ses convives ordinaires qui paraissaient le respecter.

En conséquence, le vénérable Toussaint de Joannis, doyen des lyriques après Hugo, était devenu locataire de la femme illustre.

Il est vrai que celle-ci ne le logeait pas pour une poignée de coquilles. Ce gîte impossible raflait un bon tiers des ressources du vieillard qui se crut, néanmoins, favorisé.

Il est vrai aussi qu’il avait la « jouissance » d’un jardin de quelque étendue, orné de trois ou quatre grands arbres, planté de très beaux rosiers, et que la Frémyr, en lui vantant ces inappréciables avantages, avait su le persuader de son désintéressement de propriétaire. Le poète, inattentif aux yeux effroyables de la vampire, se tenait donc inébranlablement assuré de posséder à vil prix un logis de prince.

Rien n’y fit. Ni l’évidente stupeur des habitants du village, ni le froid terrible de quatre hivers dans cette ruine intérieurement visitée par tous les souffles, ni l’ébranlement de sa santé, ni la mort même de sa vieille femme assassinée dans son lit par une soixantaine de courants d’air… Il semblait que nulle catastrophe ne fût capable d’altérer chez ce visionnaire le besoin de croire à la grandeur d’âme de Mme Frémyr. Il attribuait tout à sa pauvreté qui ne lui permettait pas le luxe de chauffage exigé par une habitation de cette importance.