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de sourire. En se penchant, ils virent avec épouvante que ce rêveur avait la tête posée sur un coussinet de sa propre cervelle répandue, la partie postérieure du crâne ayant cessé d’exister. Celui-là n’était pas ce qu’on appelle mort, mais il ne pouvait plus souffrir et n’avait pas besoin de secours. Intuitivement Solange comprit qu’il fallait aller plus loin.

La vérité me force à dire que cette courageuse enfant était attirée de préférence vers les blessés français. N’ayant que très peu de place à donner, elle trouvait tout simple d’en faire profiter d’abord les pauvres gens qui souffraient pour avoir voulu la défendre. Dans sa logique de petite vierge gauloise, elle ne soupçonna pas un instant le danger de ce choix exclusif qui devait la perdre.

Fractures, ventres ouverts, têtes fendues, faces charcutées par la baïonnette ou la mitraille, il n’y avait, pour ces enfants, que l’embarras du choix.

Le premier voyage fut horrible. Il s’agissait de transporter un franc-tireur gigantesque dont une balle avait traversé les deux mollets, et qui avait, en outre, l’épaule brisée d’un coup de crosse.

L’idiot, peu capable des savantes précautions d’un bon infirmier, le prit si malheureusement sous les bras que le torturé se mit à rugir comme un lion. À défaut de brancard, Solange courut cher-