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seule fois, du célèbre naufrage de la Méduse. Une masse d’hommes forcés d’agoniser pendant des semaines, debout, les jambes dans l’eau !

Et encore les naufragés de l’Atlantique n’étaient pas sans espérance de s’étendre, un jour, fût-ce pour mourir. Chaque fois que l’un d’eux, tué par l’inanition ou gobé par le requin, disparaissait, le radeau, allégé d’autant, remontait d’une toute petite ligne. D’homicides bousculades s’ensuivirent. Ces « humains au front sublime » comme disait Ovide, faits pour contempler le ciel, étaient moins rongés par la famine que par l’ambition de revoir enfin leurs pieds…

À Conlie, cette ambition ou cet espoir était impossible. Plus on crevait, plus la boue montait. Si, du moins, c’eût été de la bonne boue, de la saine argile délayée par des météores implacables ! Mais comment oser dire ce qu’était, en réalité, cette sauce excrémentielle où les varioleux et les typhiques marinaient dans les déjections d’une multitude ?

Même après vingt ans, ces choses doivent être dites, ne serait-ce que pour détendre quelque peu la lyre glorieuse des vainqueurs du Mans qui eurent, en vérité, la partie beaucoup trop belle.

Il ne serait pas inutile, non plus, d’en finir, une bonne fois, avec les rengaines infernales dont nous saturent les moutardiers du patriotisme sur l’impartialité magnanime et le désintéressement politique de certains organisateurs de la Défense.