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paysan quelconque accompagné de sa femme, l’un et l’autre armés de pioches et de pelles.

Aussitôt, ils se mirent à creuser une large fosse. Vous me croirez si vous pouvez, je ne pus pas même obtenir de ces deux individus le secours d’un monosyllabe. Ils n’étaient pourtant ni muets, ni sourds, ni étrangers, puisque je les entendais parler français.

Ils étaient simplement résolus à ne pas me répondre, comme des ouvriers qui travaillent pour un client importun, s’obstinant à me refuser le droit de n’être pas mort.

Lorsqu’à la fin, je compris ou crus comprendre que ces fantômes, encore plus funèbres que les précédents, avaient l’intention de me jeter vivant dans leur trou, je me mis à les supplier, à les conjurer avec larmes, par tout ce qui peut rester de sacré ou de redoutable aux pires canailles, de ne pas me condamner à cet inhumain supplice.

Mais, sans doute, j’avais le délire, n’est-ce pas ? Et ce délire, évidemment, s’exaspéra quand je les vis, après une demi-heure de leur effrayante besogne, recueillir autour d’eux les plus proches morts ou blessés et les précipiter pêle-mêle dans le charnier, non sans les avoir préalablement allégés de tous les objets précieux qu’ils pouvaient trouver sur ces indigents.

Cela, monsieur, je le vois encore, et je le verrai certainement toute ma vie. J’ai su, plus tard, que ces faits invraisemblables se sont produits