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n’en plus finir, bleu-de-ciel, ceux-là, avec la chenille noire sur leurs damnés couvre-chefs. On en a crevé pas mal, pendant la guerre. Leurs bons frères de Prusse en fourraient partout devant eux, mais on en retrouvait toujours et c’est un miracle qu’ils ne m’aient pas écrasé sous leurs caissons.

Quand parurent les voitures d’ambulance, je me mis à pousser des hurlements dans l’espoir d’être ramassé. Peine perdue. Enfin, j’eus la chance de m’assoupir, la tête posée sur mon sac, ayant trouvé la force de le déboucler et d’étendre ma couverture sur mes pauvres jambes inertes.

Je ne sais combien de temps dura mon sommeil. Mais il paraît qu’il était l’heure de souffrir.

La procession allemande était finie. Autour de moi, le silence dans la nuit limpide, illuminée de quarante milliards d’étoiles. Au fond de l’horizon une ligne de feux pâles, attestant la présence d’un corps allemand campé là, car l’armée française devait être loin.

Les deux premières sensations, en me réveillant, furent le froid et la soif, tellement intenses l’une et l’autre, que j’exhalai un gémissement.

Aussitôt quelques voix faibles, inarticulées comme la mienne, y répondirent dans l’obscurité. Je vis alors, çà et là, quelques taches noires sur le sol tout près de moi et regardant attentivement, j’en aperçus d’autres plus loin, plus loin encore, à perte de vue. C’étaient les agonisants et les