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sueur de sang

sait de sa montre et de son argent et s’évadait comme un reptile.

Il eût été difficile de préciser le travail qui s’accomplissait dans cette âme obscure. Né avant terme d’une fille publique de la plus abjecte catégorie, jetée à la fosse commune quelque temps après, il avait grandi par miracle, sous l’aile peu duvetée de la bienfaisance municipale de Pithiviers.

Rachitique et falot comme une ébauche de caricature, son intelligence répondait à la malfaçon de son déplorable corps. C’était un de ces pauvres miroirs onduleux et mal étamés qui déforment toutes les images. Il avait fallu renoncer à lui apprendre quoi que ce fût. Un de ses bienfaiteurs avait eu, fort heureusement, assez de génie pour comprendre que la moindre goutte de science pouvait faire chavirer un si frêle esquif déjà surchargé de la demi-douzaine d’opinions probables qui suffisent au fonctionnement régulier de la mécanique sociale.

En conséquence, on le dressa de bonne heure aux grosses besognes de la plus basse domesticité, et dès l’âge de dix ans, il gagna ce que l’on croyait être sa vie, en servant les palefreniers dans une auberge considérable, sise au bord de l’Œuf, où s’arrêtaient tous les rouliers de la Beauce ou du Gâtinais.