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totype. Ce Lazare est le fils de Dieu lui-même, Jésus-Christ « dans le sein d’Abraham » où il est « porté par les Anges ». Il est gisant à la porte du monde et couvert de plaies. Il voudrait bien se rassasier des miettes qui tombent de la table où ce riche fait ripaille de sa Substance, et nul ne lui en donne. C’est tout juste s’il n’est pas dévoré par les chiens[1].

On pourrait croire que ce riche et ce pauvre ne peuvent pas être plus séparés. Mais, pour tous deux arrive la mort qui les sépare bien autrement, comme le corps de l’âme, et le grand « Chaos » s’interpose, mystérieux et infranchissable abîme qu’aucun homme n’a pu concevoir — la Mort elle-même, à jamais incompréhensible. Le riche, alors, du milieu de tourments atroces inversement préfigurés par les délices de sa table, implore le mendiant glorieux, n’osant pas même lui demander toute l’eau

  1. Canes veniebant et lingebant ulcera ejus. Malgré mon respect pour saint Jérôme, je ne crois pas à la « compassion » de ces animaux. On sait que les chiens errants, dans les villes ou les campagnes de l’Orient, sont de véritables bêtes féroces fort étrangères à notre sentimentalité religieuse. Les chiens de Lazare prolongeaient son riche, simplement.