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le poids des pluies, la terre s’est affaissée et les pierres sont sorties en si grand nombre que même les chardons ne peuvent y croître. Bientôt la croix tombe, pourrit sur le sol, le nom du misérable s’efface et n’existe plus que sur un registre de néant…

Ce qui navre de charité, c’est la foule des petites tombes. Il faut ce spectacle pour savoir ce qu’on tue d’enfants dans les abattoirs de la misère. On y voit des lignes presque entières de ces couchettes blanches surmontées d’absurdes couronnes en perles de verre et de médaillons de bazar où s’affirment des sentimentalités exécrables. Il y en a pourtant de naïves. De loin en loin, dans une sorte de niche fixée à la croix sont exposés, avec la photographie du petit mort, les humbles jouets qui l’amusèrent quelques jours. Quelquefois s’agenouille devant l’une d’elles une vieille femme désolée. Elle est si vieille qu’elle ne peut même plus pleurer. Mais sa plainte est si douloureuse que les étrangers pleurent pour elle[1]

  1. Léon Bloy, La Femme pauvre.