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LE RÉVÉLATEUR DU GLOBE

archers d’élite commencèrent à obscurcir l’air de leurs flèches, un vent subit s’éleva qui, les faisant dévier, amortissait leur force d’impulsion, et par sa violence semblait même les renvoyer sur ceux qui les lançalent. Le cri de Miracle ! fut poussé dans la pelite armée espagnole. Les ladiens, consternés et épouvantés du prodige, se débandèrent à l’instant.

« Tandis que l’Adelantado, qui avait divisé sa troupe en deux corps, les chargeait de deux côtés opposés, l’intrépide Ojeda se précipitait furieusement sur eux avec ses vingt chevaux. Des chiens corses qui suivaient les Espagnols, se mettant à la poursuite, complétèrent la déroute.

« Sans doute le courage fut héroïque chez les Espagnols, perdus et comme engloutis au milieu de cette masse de cent mille ennemis armés ; néanmoins, en y réfléchissant, on sent que le succès n’était pas humainement possible. Techniquement, il ne s’explique pas.

« Aucun général n’admettra que deux cent vingt soldats, sans artillerie ni armes de précision, en rase campagne. puissent disperser une arinée de cent mille hommes, pourvus d’arcs, de javelots, de lances, de massues, combattant pour leurs foyers. Aussi la jactance des hidalgos ne s’est-elle jamais exercée sur ce fait inouï. Les Castillans n’eurent pas la témérité d’attribuer à leur propre valeur ou à la supériorité de leurs armes un trlomphe si extraordinaire ; ils avouèrent sans fausse honte qu’ils le dovaient à un secours rmiraculeux. C’est pourquoi cette victoire ne tira point son nom du champ de combat, mais de la cause qui l’avait procurée, et s’appela tout franchement le Miracle des flèches.

« Si nous ne savions pas combien, en Espagne, tout ce qui eût servi à glorifler Colomb était soigneusement caché ou amoindri, nous aurions lieu d’être surpris du laconisme et de la réserve des historiographes au sujet d’un tel événement.