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LE RÉVÉLATEUR DU GLOBE

tent rien de comparable à cette action inouïe, où en rase campagne deux cent vingt hommes en défirent cent mille.

« Si par des motifs honteux pour la cour d’Espagne, ce triomphe à peine croyable n’eut pas de retentissement en Europe, il fut très célèbre aux Antilles ; il y devint populaire et y reste connu sous le nom de miracle des flèches. La preuve en subsiste encore aujourd’hui.

« Ici, nous devons entrer dans quelques détails.

« Après son second voyage d’exploration, Christophe Colomb, tombé en léthargie par suite d’indicibles fatigues, fut ramené inerte à Hispaniola, où, pendant cinq mois, il resta malade d’épuisement. Durant ce temps, quatorze des principaux caciques avaient formé une ligue dans le but de massacrer les Espagnols jusqu’au dernier. Le prince Guacanagari, dévoué à Colomb, vint trouver l’Amiral encore retenu dans son lit. Il lui révéla le complot, en répandant des larmes, tant la situation lut paraissait désespérée. Les Indiens profitant de la maladie du Vice-Roi et de l’état valétudinaire des Espagnols, la plupart rudement éprouvés du climat, avaient juré de les détruire, sans en épargner un seul. Le danger était grand.

« On aurait tort de penser que les brillantes armures d’Espagne, le bruit et l’effet des arquebuses, suffisaient pour épouvanter les Indiens. Quand ils eurent vu mourir des chevaux, puis des Castillans, ils cessèrent de les croire immortels. Tout aussitôt le patriotisme reprit ses droits dans leurs âmes.

« Qu’on ne s’imagine point que les indigènes, pour ne posséder ni armes à feu, ni armures d’acier, ne fussent pas à craindre. Si quelques peuplades de l’intérieur montraient un naturel pacifique, celles du rivage occidental et des côtes méridionales se trouvant exposées aux attaques des anthropophages, avaient contracté des allures guerrières ; elles comptaient des capitaines et des soldats d’élite. La seule