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LE RÉVÉLATEUR DU GLOBE

« Ne pouvant croire à cette incomparable immensité de munificence, rapetissant dans son esprit la donation du Saint-Siège, consentant à l’amoindrir encore plutôt que de mécontenter un voisin dont on souhaitait l’alliance, la Castille s’inspira de la pensée du Portugal ; s’aveuglant et méconnaissant le caractère apostolique et providentiel du privilège dont elle était saisie, elle permit à ses Commissaires de redresser par leurs calculs les erreurs supposées de la Bulle. Les savants Portugais avec un orgueil, et les Castillans, avec une sottise exemplaires, sans plus tenir compte du tracé pontifical que s’il n’eût point existé, ne daignant pas même le nommer ou y faire allusion, convinrent de tirer une autre ligne droite[1], allant du pôle arctique au pôle antarctique et passant à 370 lieues au couchant des îles du Cap Vert[2]. C’était reculer de 270 lieues la ligne fixée par le Saint Père.

« Or, dans ce reculement de 270 lieues, la projection de la ligne nouvelle au lieu d’arriver au Pôle Sud, comme la Démarcation papale, sans couper aucune terre, allait rencontrer le cap Saint-Augustin et toute la partie du nouveau continent qui s’avance à l’Est dans l’Atlantique.

« Donc :

« Pour avoir méconnu l’apostolat de Christophe Colomb, douté de la science inspirée du Saint-Siège, s’être crue plus équitable que le Souverain Pontife envers les droits du Portugal et avoir osé corriger la Bulle, l’Espagne perdit son privilège exclusif sur le Nouveau Monde ; et le vaste empire du Brésil fut acquis au Portugal.

« Les historiographes royaux d’Espagne ont été surpris de la grandeur de la dotation que lui avait octroyée le Saint

  1. Herrera, Hist. gén. des Ind. occid. déc. Ie, liv. II chap. x.
  2. « La cual raya ó linea é señal se haya de dar y de derecha, como dicho es, á trescientas setenta leguas de las islas de Cabo Verde, etc. » — Coleccion diplom.