Page:Bloy - Le Révélateur du globe, 1884.djvu/286

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
258
LE RÉVÉLATEUR DU GLOBE

d’une manière exquise l’hospitalité enthousiaste de la ville de Gênes. Se sentant dans la patrie de Christophe Colomb, persuadé de l’admirable sainteté du Héros chrétien, il ne douta pas une minute que ce seul nom prononcé ne fit palpiter des milliers de cœurs et, un jour, tout rempli de cette généreuse inspiration, il annonça dans la chaire, pour le dimanche suivant, le panégyrique du plus grand de tous les Génois.

L’effet fut inouï. L’intrusion soudaine d’un mulot dans une fourmilière peut en donner quelque idée. Le clergé s’inquiète et s’agite ; les chanoines académiciens, inexprimablement affolés, vont et viennent, comme des augures épouvantés par quelque calamiteux présage ; l’indomptable Sanguineti rugit dans l’archevèché ; une députation de ses partisans vient railler l’orateur et s’emporte jusqu’à le menacer ; l’Archevêque lui-même, légèrement éperdu, le supplie de renoncer à un aussi funeste dessein ; tout le monde a la fièvre, tout le monde a le délire, les inquiétudes et les épouvantes planent sur la cité…

Mgr Miglior dut croire à quelque soudain maléfice des puissances ténébreuses. Aucune explication humaine ne pouvait, évidemment, lui parattre suffisante pour un fait aussi extraordinaire. (Par prudence, le Journal de l’Archevêché, le Cittadino avait refusé d’annoncer le sermon.) Néanmoins, il tint très ferme, se rerancha dans son droit de prédicateur et prononça, sans aucune sorte de balbutiement, le panégyrique annoncé. Le scandale et l’effervescence montèrent à leur comble. La haine infernale des ennemis de Colomb essaya d’imposer silence au panégyriste par voie d’intimidation. Une pluie battante de lettres anonymes