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OBSTACLES À L’INTRODUCTION DE LA CAUSE

dité sans frein. C’est là, sans doute, le seul mobile qu’il soit possible d’attribuer à la majeure partie des ennemis de Christophe Colomb. L’Espagne, subitement frappée de folie, étendait ses mains dévorantes vers les Eldorados découverts. L’héroïsme tournait en concupiscence. À la reddition de Grenade succédait la reddition du désintéressement chevaleresque des légendaires Matamores. Il fallait bien écraser cet homme qui n’opposait que sa tendresse apostolique à toutes ces fringales déchaïnées.

Mais aujourd’hui, après trois cent quatre-vingts ans, il n’y a plus de cupidités en délire, du moins pour le même objet. La grande croisade du pillage est finie. L’Amérique, éventrée de l’un à l’autre pôle, a vidé ses entrailles d’or sur la vieille Europe qui n’en est pas devenue plus riche. L’avide Espagne s’est indigérée à en mourir. Déchue du trône du monde et agonisante sans majesté, elle a vu les autres peuples se partager son héritage et, de tout cet immense empire où le soleil ne se couchait pas, il ne lui reste plus que deux îles, dont l’une de médiocre importance, que la monomanie colonisatrice du protestantisme luiarrachera quelque jour. Il ne subsiste donc plus une ombre de prétexte humain pour souiller ce grand lit de gloire où le donateur du Nouveau Monde s’est étendu dans la mort. Sa Vraie patrie terrestre, le coin de l’Europe où il est né, où il a grandi, où les premières impressions de la vie extérieure ont pénétré son âme, cette patrie matérielle peut donc enfin le reprendre à l’ingrate patrie de l’adoption et le revendiquer comme son plus inestimable trésor. Tout ce qu’il y a de nobles âmes dans le monde se tourne du côté de Gênes et la proclame bienheureuse