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LE RÉVÉLATEUR DU GLOBE

« Sur un point de l’espace agité par un mouvement giratoire, la mer, se gonflant de tous les flots qu’elle attirait à ce centre, se soulevait comme une seule montagne, tandis que de noirs nuages, descendant en cône renversé, s’allongeaient vers le tourbillon marin qui se dressait palpitant à son approche, comme cherchant à le joindre. Ces deux monstruosités de la mer et de l’atmosphère s’unirent tout à coup par un effroyable embrassement et se confondirent en forme d’X tournoyante.

« C’était, dit l’historien de Saint-Domingue, « une de ces pompes ou trombes marines que les gens de mer appellent froncks, que l’on connaissait alors si peu et qui ont depuis submergé tant de navires[1]. » Un âpre sifflement précédait l’haleine fatale qui poussait vers les caravelles cet épouvantail, alors sans nom dans nos langues. Ce genre de trombe est la plus affreuse manifestation de cette tempête infernale à qui l’Orient donna le nom même de l’esprit du mal : Typhon. Malheur aux navires qui se rencontrent sur son passage !

« Au cri de détresse qui frappa son cœur, le grand homme s’était ranimé. Devant l’imminence de la destruction, il se relève, reprend son ancienne vigueur et sort de la cabine afin de mesurer d’abord le péril. Lui aussi aperçut la chose formidable qui approchait. La mer était soutirée vers le ciel. À ce phénomène inconnu, il ne vit point de remède : l’art était inutile, la navigation impuissante ; d’ailleurs, on ne pouvait plus gouverner.

« Aussitôt Colomb, l’adorateur du Verbe, soupçonna dans cet effroyable déploiement des forces brutales de la

  1. P. Charlevoix, Hist. de Saint-Domingue.