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LE RÉVÉLATEUR DU GLOBE

Voici en trois mots ces raisons qui ne furent pas plus bêtes, en somme, que les premières raisons venues qui peuvent servir à déshonorer un bienfaiteur.

Il n’y a que deux façons de se comporter avec un homme à qui l’on doit tout. Il faut lui appartenir ou l’éliminer. Or, on n’élimine jamais que ce qu’on remplace. Quand on eut bien compris l’immensité des services rendus par Colomb, on fut épouvanté du fardeau de la reconnaissance et on se hâta de le remplacer. On mit des créatures à la place de ce Créateur. Ensuite, on somma les Puissances ténébreuses de noyer cette gloire aveuglante sous un déluge d’obscurité et, par-dessus cette obscurité, lesilence le plus obéissant fut placé en sentinelle. La peur d’être reconnaissant devint si grande qu’elle égala les plus affolées et les plus gigantesques épouvantes de l’homme ; elle fit trembler sur leur trône les tout-puissants Rois d’Espagne qui ne pardonnèrent jamais au Serviteur de Dieu de les avoir faits si magnifiques et qui ne prirent jamais assez de précautions contre sa mémoire.

La noble victime ayant succombé, lesignobles chiens du pillage ot de l’aventure se précipitèrent à la curée. En sens inverse de la Croisade sainte rêvée par Christophe Colomb, l’Espagne entière s’arracha de son propre sol et se jeta sur le Nouveau Monde, comme en une Croisade satanique capable de venger l’enfer de toutes les autres croisades des siècles passés. Une cupidité monstrueuse rermplaça l’enthousiasme religieux des temps chevaleresques. Ces innombrables peuples du nouveau Continent que Christophe Colomb avait enfantés à l’Église avec de si grandes douleurs, on en fit un bétail immense pour le travail et pour l’extermination.