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LE RÉVÉLATEUR DU GLOBE

jusqu’à l’héroïsme de la plus parfaite abnégation, Christophe Colomb, qui jetait sur les épaules de l’indigente Castille, une parure d’îles et de continents aussi vastes que quatre fois l’empire d’Alexandre, ne put trouver dans tout ce peuple ni un semblant de pitié pour ses malheurs, ni une grimace de sollicitude pour sa mémoire. Quand il n’eut plus rien à donner on le jugea un serviteur inutile. Quand il tomba en défaveur, il n’y eut pas jusqu’au plus vil misérable qui ne se crût en droit de l’outrager ; « mais, dit-il, grâce à Dieu, on le contera quelque jour de par le monde à qui aura le pouvoir de ne le point souffrir. Dieu, notre Seigneur, reste avec sa puissance et sa science comme auparavant et il châtie surtout l’ingratitude. »

Vers la fin de son quatrième voyage, le plus douloureux et le plus tragique de tous, comme aussi le plus chargé de faits surnaturels, se voyant naufragé, trahi, malade, abandonné de tous sur un point de ce Nouveau Monde qu’on ne lui pardonne pas d’avoir découvert, il écrit une dernière fois aux Rois Catholiques et « l’énormité de l’injustice, l’excès de l’ingratitude commise contre lui », l’attendrissent sur son propre sort. Le caractère épique de ses malheurs, la gigantesque poésie de ses épreuves de mer, l’iniquité qu’il subit, assurément la plus incomparable après celle des juifs enyers le Sauveur, le transportent au delà du temps ; et le Révélateur du Globe, se plaçant au point de vue de la postérité, déplore la destinée mortelle de Christophe Colomb. Il s’écrie : « J’ai pleuré jusqu’à présent sur les autres ; maintenant que le ciel me fasse miséricorde et que la Terre pleure sur moi !… Qu’il pleure sur moi, celui qui aime la charité, la vérité et la jus-