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LE SERVITEUR DE DIEU

et le cœur humain nous apparaît tel qu’il est, un monstre d’inconstance[1] ! »

Il n’est certes pas déshonorant pour le plus grand homme du monde d’avoir tremblé comme Élicet d’avoir eu peur comme saint Pierre. Le Christ lui même « qui porta nos langueurs », ne voulut pas se soustraire à celle-là et l’Évangile affirme qu’il eut peur[2]. Mais cette peur du véritable Homme fut en même temps la Peur d’un Dieu et tous les effrois imaginables du cœur humain sont comme les ombres mouvantes de cette substantielle terreur. Christophe Colomb était trop grandet trop exactement « configuré » à Jésus souffrant pour échapper à cette extrémité de la misère. Le trouble de son âme correspond exactementà la fuyante terreur d’Élie et finit de la même manière. « Le zèle m’a consumé et maintenant je suis seul », dit Élie. — « J’ai sué le sang pour votre Église, Seigneur », dit Christophe Colomb. Le Seigneur les ranime l’un et l’autre par sa Parole ; c’est la même pour tous les deux : « Relève-toi, il te reste une longue route à faire ; » et les sublimes épouvantés continuent leur voyage « dans la force de cet aliment divin ».

Voici maintenant la seconde faiblesse de Christophe Colomb. Le fait qu’on va lire excède tellement la nature ot déconcerte si parfaitement nos habitudes d’admiration que la vieille muse banale de l’histoire devient tout à coup silencieuse à l’aspect de ce Leviathan de magnificence. C’est le même fait que tout à l’heure, mais agrandi jusqu’à l’infini et cinquante fois plus solen-

  1. Physionomies de saints, par Ernest Hello.
  2. « Cœpit pavere. » Marc. xiv, 33.