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LE SERVITEUR DE DIEU

honorer éternellement ses persécuteurs. Il n’en eut même pas la pensée et, d’après son propre témoignage, ne raconta pas la centième partie des choses qui lui étaient arrivées ; estimant que c’était bien assez pourun chrétien de blâmer en ces termes ceux qui entravaient ses expéditions : « Qu’il plaise à Notre-Seigneur d’oublier les personnes qui ont combattu ou qui combattent une si excellente entreprise et qui s’opposeraient à ce qu’elle fasse des progrès[1]. »

Je ne puis m’empêcher de comparer Christophe Colomb à ce bon Pasteur de l’Évangile qui donne sa vie pour ses brebis et qui ne se repose pas avant d’avoir retrouvé celle qui était perdue. La brebis perdue, c’était la moitié de la race humaine, la douloureuse multitude des Américains. C’était l’effroyable prostituée d’Ézéchiel, « projetée sur la face de la terre dans l’abjection de son âme et foulée dans son sang ». Il avait rêvé de courber avec tendresse aux pieds du Dieu vivant cetie Madeleine de deux cents millions de cœurs. Il avait reçu tout ce qu’il fallait pour cela et nul conquérant après lui n’hérita du don divin par lequel il pénétrait et fixait les mobiles Indiens. La vue d’un chef si doux et si fort faisait croire à ces pauvres peuples que les souverains dont il leur parlait étaient dans le ciel et non dans ce monde ». Un peu plus tard, il leur vint d’autres chefs qui leur donnèrent à penser que ces mêmes souverains devaient régner dans les enfers. Le succès de Christophe Colomb eût été une chose trop belle sur cette planète maudite qui n’a de fécondité que pour engendrer des monstres et qui garde toute sa force pour la germination des épines

  1. Relations aux Rois Catholiques sur Le troisième voyage.