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LE SERVITEUR DE DIEU

l’intérêt déchirant d’une tendresse humaine à tous les autres glaives qu’il avait déjà dans le cœur…

Vainement, le roi de Portugal, honteux de sa fourberie et devinant qu’une immense gloire allait lui échapper, s’eflorçait, comme je l’ai dit, de ramener à lui l’envoyé de Dieu qu’il avait méconnu et alla jusqu’à lui écrire de sa propre main. Christophe Colomb, outragé dans sa mission, était plus difficile à reconquérir que tout un monde perdu. La Majesté Très Fidèle y perdit ses peines et la Colombe, plus fidèle encore, ne répondit pas. Les succès inouis de l’Espagne contre l’islamisme, succès qui allaient aboutir par la prise de Grenade à la définitive expulsion des ennemis de la Croix, après une lutte de 778 ans, paraissaient au Missionnaire inspiré un signe d’élection divine sur ce peuple de héros. Lui-même perdu dans les rangs subalternes, il prit part au siège de Baza, en qualité de simple volontaire. Il avait le temps de souffrir et de combattre. Le rapport de la Junte savante, réunie à Salamanque par ordre des Rois pour y examiner son projet de circumnavigation et de découverte, avait conclu unanimement à l’impossible. Colomb, soutenu par une secrète espérance et un invincible pressentiment de la généreuse détermination d’Isabelle dont l’âme élevée lui semblait correspondre à la sienne, persévérait dans ses douloureuses démarches.

Cependant, après la reddition de Grenade, dans cette détente amollissante d’un triomphe si chèrement acheté, un moment tout lui sembla perdu. Après mille délais et mille ajournements, après des humiliations, des moqueries, des misères, des obscurcissements, et des désolations sans nombre, le Serviteur de Jésus-Christ se