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LE RÉVÉLATEUR DU GLOBE

rantes indignations. « Tes yeux sont comme les yeux des colombes », dit le bien-aimé du Cantique. Et qui donc a été plus semblable que Christophe Colomb à cette figure biblique de la méditation gémissante et inépuisablement miséricordieuse ? Ses yeux, du bleu clair et noyé de la dilection contemplative, avaient cette teinte, étrange à force de douceur, que les Espagnols expriment par le mot garzo qui correspond dans notre langue à la nuance minérale qu’on appelle lait de lune et dont le nom seul donne la sensation du rêve !

Le nez aquilin, révélateur de la grande race de l’Ambassadeur de Jésus-Christ, se terminait par des narines ouvertes et palpitantes de héros qui avaient l’air d’aspirer la douleur ambiante, atmosphérique, et se déployaient au-dessus d’une fine bouche aux coins élevés, à la lèvre inférieure imperceptiblement débordante, comme on le remarque chez la plupart des hommes dont la bonté va jusqu’à la tendresse. Dieu est jaloux de la bouche humaine, on le voit à toute page de l’ancienne loi, et c’est à la bouche que le Serpent s’adresse pour faire tomber les Premiers Coupables. « La bouche du juste est la veine de la vie, » dit Salomon et « la matrice de la sagesse[1]. » C’est l’organe privilégié de l’amour humain aussi bien que de l’amour eucharistique et c’est dans la bouche ouverte de David que s’envolait l’Esprit du Seigneur[2]. Il semble äonc que ce soit surtout à la bouche que Jésus voudra reconnaître ses justes, au premier rang desquels apparaît Christophe Colomb, très doux prince et prophète de la loi de

  1. Prov. X, II, 31.
  2. Psalm. CXVIII, 131.