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LE RÉVÉLATEUR DU GLOBE

pour le sauver, et c’est ainsi qu’ayant son éternité par derrière sa toute-puissance, il a pu, néanmoins, traiter, comme ledit Tertullien, d’égal à égal, avec nous autres qui sommes faibles et périssables.

Supposer que la Grâce atteint l’homme dans sa liberlô est une hérésie formelle et le plus fécond de tous les sophismes du désespoir. La divine Grâce est symboliquement représentée dans tout l’univers par les pauvres et les mendiants et c’est sans doute à cause de cela que Notre-Seigneur nous les recommande si fortement dans son Évangile. Bien loin de s’emparer de nous par la violence, la Grâce nous implore sans cesse avec l’infatigable obséquiosité du plus humble et du plui indigent de tous les solliciteurs. Autant de fois que le cours du sang fait battre nos artères, la plus tendre de toutes les Voix mystérieuses nous dit au cœur : veux-tu de moi ? et notre vie surnaturelle se mesure exactement à la quantité d’actes naturels par lesquels notre volonté, en disant : oui, a pleinement correspondu. Lorsque l’équilibre est ainsi établi entre le désir de Dieu etla bonne volonté de l’homme, le fait transceridant, à la fois divin et humain, qui s’appelle la sainteté se trouve parfaitement réalisé et il est difficile alors que le miracle, c’est-à-dire l’apparition de l’Infini dans le fini, ne se produise pas d’une façon plus ou moins éclatante.

Je viens de lire pour la seconde fois cette vie de Christophe Colomb et, en vérité, je n’ai vu aucune vie de saint où le miracle soit plus fréquent et, pour ainsi dire, plus naturel. Le surnaturel divin et son corollaire, le sous naturel diabolique y flambent à toute page. Seulement, ils se déploient l’un et l’autre dans les propor-