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LE RÉVÉLATEUR DU GLOBE

l’épreuve est faite, on a beaucoup marché sur une fausse piste et la lassitude est infinie. On commence à discerner que le roman ne donne que le roman et jamais l’histoire ; que le Passé qui nous contemple — disait Bonaparte — ne se révèle qu’à des contemplateurs comme lui et non pas à des critiques pleins d’inventions ; enfin, que le plus puissant effort d’un homme de génie serait de remonter simplement à la Tradition et d’y faire remonter avec lui tout ce que le fanatisme de l’analyse a laissé subsister de cœurs intuitifs et d’intelligences prime-sautières.

Cela me ramène très naturellement à l’Histoire de Christophe Colomb, par le Comte Roselly de Lorgues, histoire venue, comme on sait, après tant de romans, tant d’anedoctes, tant de critiques, tant de polémiques ! La liste en serait furieusement longue, à ne commencer que par Fenimore Cooper et Washington Irving. La finesse et l’imagination humaines sy étaient épuisées dans les deux mondes. Le Comte Roselly de Lorgues, très séparé du troupeau des idolâtres du subjectif, esl à la fois un savant sans microscope et un contemplateur. Aussi, son histoire s’échappe-t-elle à chaque inslant de l’inanimé document pours’élancer dans la splendeur vivante de l’aperçu et du jugement définitif d’où elle finit par ne plus descendre. Mon dessein n’est certes pas de refaire de la fantaisie historique ou littéraire sur un livre déjà ancien et dont il a été beaucoup parlé. C’est en me plaçant au point de vue très spécial de la canonisation que je veux, à mon tour, contempler Christophe Colomb dont voici, en vérité, la seule histoire. Je viens de relire cette lamentation incomparable. J’ai mieux vu cette tête effrayante à force de beauté,