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LE RÉVÉLATEUR DU GLOBE

Ces quelques lignes suffiront à toute âme chrétienne tant soit peu profonde pour comprendre la nécessité absolue de la voie exceptionnelle. Christophe Colomb remercie la majesté divine pour avoir daigné permettre que, par lui, son Nom fût connu et prêché dans cette autre partie du monde. L’énorme singularité d’une pareille action de grâces est nécessairement inaccessible à des hommes du xixe siècle. Il faut se demander ce que pouvait être aux yeux des hommes du xve cette autre partie du monde. Il y avait d’abord la mer Ténébreuse, l’épouvantable Bahr-al-Talmet des Arabes, c’est-à-dire une ceinture d’abîmes peuplés de monstres auprès desquels les plus horribles cauchemars de la mystique infernale devaient paraître bénins et consolants. Au delà, il y avait le Diable, le désespoir, l’enfer, la nuit absolue et l’absolue absence de Dieu. Christophe Colomb, qui n’avait pas cru à la mer Ténébreuse parce qu’il pressentait la vraie forme du Globe ; Christophe Colomb, rempli de ses dons et supérieur à ses contemporains de toutes les supériorités naturelles et surnaturelles, voyait-il beaucoup plus clair que le vulgaire dans l’ordre des choses historiquement contingentes à sa mission ?

Sans doute, ce merveilleux homme se sentait appelé à la translation de la Croix dans un monde nouveau, il le déclare lui-même implicitement ou explicitement en cent endroits. Sans doute, le sentiment de sa gigantesque paternité spirituelle remplissait le sein de cet Abraham voyageur à la recherche de sa postérité inconnue. Sans doute aussi, devait-il croire que ce monde captif ne lui serait pas livré sans combat et son âme héroïque comptait sur le Dieu des opprimés pour