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cimetière. Il eut une satisfaction à s’en aller seul ayant fort redouté les crocodiles du sympathique regret. Son départ de Périgueux était fixé pour le lendemain et il se proposait de ne voir personne. Il rentra donc immédiatement, se fit apporter une nourriture quelconque et passa une partie de la nuit à écrire la lettre suivante à son ami Leverdier.


XXIV


« J’ai reçu ton argent, mon fidèle, mon unique Georges. Je ferai ce que tu me conseilles de faire, comme si c’était la Troisième Personne divine qui eût parlé, et voilà tout mon remerciement. J’arrive du cimetière et je pars demain pour la Grande Chartreuse.

« Je t’écris afin de me reposer en toi des émotions de ces derniers jours. Elles ont été grandes et terribles. Une virginité de cœur m’a été refaite, je pense, tout exprès pour que je visse expirer mon père que je ne croyais, certes, pas aimer tant que cela. Tu sais combien peu de place il avait voulu garder dans ma vie. Nous nous étions endurcis l’un contre l’autre, depuis longtemps, et je n’attendais rien de plus que cette obscure trépidation que donne à des mortels la vision immédiate et sensible de la mort. Il s’est trouvé qu’il m’a fallu prendre une hache et trancher des câbles pour échapper à ce trépassé qu’on portait en terre…