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et ne dormait qu’un petit nombre d’heures dans un fauteuil, ce qui fut laconiquement expliqué.

Cette rousse, très stupéfaite, entreprit alors le seul déballage nouveau pour elle, des sages remontrances. Elle parla comme une mère prudente de la nécessité d’une meilleure hygiène, de la longueur des jours et du nécessaire repos des nuits, faites pour dormir, assurait-elle. Enfin, elle crut discerner le besoin pour un homme de pensée d’avoir quelqu’un qui s’occupât de ses petites affaires, etc. Marchenoir paya son déjeuner et ne revint plus.

Un mois après, rentrant chez lui par un minuit très froid, il la trouva accroupie et grelottante sur le seuil de sa porte. Il ne demanda aucune explication, la fit entrer dans sa chambre, alluma du feu, lui montra son lit et se mit au travail. Pas un mot n’avait été prononcé.

Elle vint lui passer ses superbes bras autour du cou.

— Je t’aime, lui souffla-t-elle, je suis folle de toi. Je ne sais pas ce que j’ai. Je ne voulais plus penser à ce caprice que j’avais eu de te tenir dans mes bras, mais ce soir, je me serais traînée sur les genoux pour venir ici. Je vois bien que tu n’es pas comme les autres et que tu dois fièrement me mépriser. Tant pis, dis-moi ce que tu voudras, mais ne me repousse pas.

Et l’impudique vaincue, craignant de déplaire par un baiser, se coula par terre à ses pieds et fondit en larmes.

Marchenoir eut le frisson de la mort. — Ne sera-ce donc jamais fini ? pensa-t-il. Il se pencha et partageant l’épaisse chevelure de cette Salamandre en