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conde, il résolut d’accomplir le voyage que lui conseillait un homme dont il avait eu tant d’occasions d’éprouver le pratique discernement. D’ailleurs, cette retraite à la Grande-Chartreuse était, depuis longtemps, un de ses vœux et lui souriait étrangement.

Il était, certes, bien éloigné de la vocation cénobitique. Après la mort de son enfant, il y avait deux ans, la pensée lui était venue d’essayer de la Trappe et il avait été se faire tâter à la Maison-Dieu. L’expérience, fort bien faite, avait donné un résultat surabondamment négatif et on ne s’était pas gêné pour lui dire qu’une excessive activité d’imagination s’opposait en lui à l’architecture de cet acéphale rigide et pieux qu’on nomme un trappiste.

Mais quelques semaines de recueillement dans la mouvance plus intellectuelle de saint Bruno lui paraissaient extrêmement désirables. Il pourrait, dans la paix sédative de ce désert, vérifier à l’aise certaines inductions métaphysiques encore insuffisamment élaborées, pour un livre qu’il avait entrepris dans les affres écartelantes de son existence de Paris. Surtout, il appuierait son âme exténuée à ce rouvre monastique du silence et de la prière qui lui communiquerait, sans doute, quelque chose de sa tranquille vigueur.

Du côté de cette femme que Leverdier nommait Véronique et qui n’était pas la maîtresse de Marchenoir, quoiqu’elle vécût avec lui et par lui, la sollicitude pélicane de son mamelouck le délivrait de tout rongeur souci, au sujet de la subsistance quotidienne, aussi longtemps que durerait sa départie. Il